Après un sommeil agité, Georges se réveilla et, à la faible lumière de service qui conférait aux murs des nuances spectrales, il laissa ses regards flâner dans cette pièce qu’il n’osait qualifier ni de connue, ni d’inconnue. À part la petite table ronde qui sommeillait dans un coin de la chambre et les deux fauteuils en cuir placés à sa proximité, il n’y avait rien. Puis, tout a coup, il remarqua un autre objet : un tableau assez grand qui ornait le mur devant le lit.
Après cette inspection sommaire, il repoussa la couverture et sauta du lit. Bien que l’endroit lui semblât familier, il n’était pas chez lui et cette situation l’angoissait beaucoup. Il aurait voulu s’habiller, mais après avoir en vain cherché des yeux ses vêtements, il se rendit comte qu’il l’était déjà.
Assis sur le bord du lit, il regarda vers la porte, sans éprouver pourtant aucun besoin de quitter la chambre, puis il essaya de mettre un peu d’ordre dans sa tête. Mais, malgré tous ses efforts, il ne parvint pas à se rappeler rien de précis. Il ne se souvenait même pas de ce qu’il avait fait le jour précédent.
Ce dont il se souvenait, assez vaguement d’ailleurs, n’était qu’un amalgame de bribes d’événements qu’il lui était impossible d’ordonner chronologiquement : il se voyait au volant de sa voiture qui avalait les distances dans la nuit, il se rappelait sa peur au milieu de cette forêt où rien ne bougeait, puis la disparition et le retour de Pierre et leur voyage vers ce manoir dont le propriétaire avait eu la gentillesse de les héberger pour la nuit. Et après…
À ce stade de la remémoration, Georges sentit tout se confondre de plus en plus dans son esprit. La soirée, Héloïse Delmar, puis Margot… et aussi sa première visite rendue chez le docteur De Gryse, en compagnie d’Hélène. « Non, j’ai dû rêver », se dit-il, en secouant la tête d’un air dubitatif… « Et pourtant, quel rêve étrange… J’aurais pu jurer que tout était réel »…
Toujours dubitatif, il se leva, sortit le peigne de sa poche et le passa plusieurs fois dans ses cheveux pendant qu’il essayait machinalement d’identifier un miroir accroché quelque part.
N’en ayant trouvé aucun, il s’arrêta sans une intention précise devant le tableau qu’il avait remarqué auparavant. Mais avant qu’il puisse le regarder de plus proche, le tableau s’alluma brusquement comme un écran LED.
D’un air absent, Georges embrassa d’un seul regard toute cette scène de funérailles se déroulant devant ses yeux : un caveau ouvert, deux cercueils placés à son immédiate proximité, entourés par un assez petit groupe de personnes, et un curé en train de célébrer le service divin.
« C’est incroyable comme elle ressemble à maman, cette dame !… Et l’autre, à mamie ?! » se dit-il, effrayé par sa découverte, surtout que parmi les gens rassemblés là il avait reconnu… lui-même !
À ce moment précis, le curé fit un geste de la main vers les deux fossoyeurs qui commencèrent à ôter les couvercles des cercueils.
« Non ! s’écria Georges sans voix, vous n’avez pas le droit de faire ça. Vous n’en avez pas le droit ! »
Une fois les couvercles ôtés, il contempla hébété le contenu des cercueils et murmura :
– Papa !… Papy !…
Sur chacune des poitrines des deux défunts reposait une tête de dragon attachée à un collier d’or.
Georges regardait tout cette scène, les yeux écarquillés de terreur. À un moment donné, il aperçut par hasard le visage du curé, un visage émacié et sillonné de rides, encadré par des longs cheveux blancs sortant de sous sa barrette.
Le vieil homme semblait le regarder fixement. Brusquement, il leva ses bras vers lui. Terrifié et comme cloué sur place, Georges regarda ces bras qui ne cessaient de s’allonger. Bientôt, ils sortirent de l’écran-tableau et il sentit les longs doigts décharnés de leurs mains s’enrouler autour de son cou comme des lianes.
– Rendez-moi mon bien !
En entendant cette voix rauque, Georges essaya désespérément de reculer, pour dégager son cou de l’étreinte des doigts qui le suffoquaient de plus en plus. Après quelques efforts, il réussit enfin à échapper aux mains diaboliques qui se retirèrent dans le tableau-écran d’où elles étaient sorties.
L’écran s’éteignit soudain et Georges, le front perlé de grosses gouttes de sueur, s’efforça de retrouver son souffle.
Puis, il se ralluma. Trois ou quatre créatures ailées ressemblant aux chauves-souris vampires en sortirent brusquement et, accompagnées de la voix du vieillard qui criait les mêmes mots qu’avant, se ruèrent sur lui.
Georges poussa un cri aigu, trébucha et tomba sur le lit. Maintenant, allongé sur le dos, il essayait de défendre sa tête et sa poitrine des griffes des monstres dorés qui continuaient à se ruer sur lui, en le perçant de leurs regards verts.
Mais il réalisa bientôt que ses deux bras étaient insuffisants pour le protéger et il poussa un hurlement terrible…
Christian Tămaș, Le protecteur maudit (collection « Perseide »), Ars Longa, 2023
© Christian Tămaș